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Chroniques
Benjamin Britten
Owen Wingrave
Comme nous le rappelle Mildred Clary dans son livre sur Britten (Buchet/Chastel), si Owen Wingrave est rarement présent sur les scènes lyriques mondiales depuis presque quarante ans, c'est que, dès sa conception, l'ouvrage en deux actes était destiné à la télévision. À l'automne 1967, en effet, le compositeur signe un contrat avec BBC Television – une exclusivité de deux ans, avec le soutien de John Culshaw, son ancien directeur artistique chez Decca, devenu directeur de la musique sur la principale chaîne anglaise. Britten est conscient des ressources d'une écriture musicale spécifique pour ce nouveau média – pensons notamment à l'Acte I, avec une alternance rapide intérieur / extérieur (deuxième tableau) ou ces apartés du dîner rendus plus intimes (septième tableau) –, mais il souhaite retenir les leçons des expériences passées et confie :
« Je suis convaincu que l'opéra doit garder une intensité musicale à la télévision. Il ne doit pas devenir un objet que l'on soumet aux seules caméras. J'en ai vu pas mal, ils peuvent facilement se révéler trop raisonnables, trop réalistes. Et puis, on se demande (du moins, les spectateurs non avertis) pourquoi les personnages chantent plutôt qu'ils ne parlent. Il est essentiel de se maintenir sur le fil du rasoir qui existe entre l'image (laquelle doit, bien entendu, demeurer plutôt réaliste pour garder cet impact sur nous) et la tension musicale ».
Déjà librettiste de The Turn of the Screw, Myfanwy Piper est invitée à se pencher sur cet autre écrit de Henry James, dont le contenu avait séduit Britten quelques années plus tôt : un jeune homme issu d'une lignée séculaire de militaires – les tableaux des glorieux ancêtres prennent le spectateur à la gorge dès le générique d'ouverture, Miss Wingrave semble porter un uniforme, etc. – affronte les reproches de sa famille pour mettre un terme à cette tradition. En pleine guerre du Vietnam, il est peu étonnant que le créateur pacifiste soit revenu à ce qui sous-tend Billy Budd (1951/ 1964) ou le War Requiem (1962).
Suivant de quelques mois celui de Peter Grimes, l'enregistrement a lieu en novembre 1970, avec Britten dans la pièce même du tournage, à la tête de l'English Chamber Orchestra, et avec l'excellente distribution choisie par lui : encadrant Benjamin Luxon (Owen à la détermination calme, au beau phrasé), on retrouve Heather Harper et Janet Baker présentes dans The Beggar's Opera [lire notre critique du DVD], Nigel Douglas (Lechmere fanfaron), Peter Pears (Philip Wingrave), etc. Cependant, il faut refilmer certains passages après mars 1971, lorsque le musicien, déjà déçu par la mise en scène qu'il découvrait au fur et à mesure qu'il dirigeait (Stuart Bradford assurant les répétitions), se montre furieux du résultat. L'œuvre est diffusée à la télévision le 16 mai 1971, mais Britten rêve déjà de sa future présentation à Covent Garden, en mai 1973...
LB